mercredi 21 janvier 2009

JetSet Magazine (01-2009)

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Interview avec Samy Snoussi

Interview avec Samy Snoussi pour JetSet Magazine
Publié le 21.01.2009

Nous avons rencontré Samy Snoussi, un jeune photographe qu’on a découvert cette année lors de sa première exposition de portrait organisée par son ami Mohamed Ali Ben Jemaa à L’africa pendant les JCC.
Un jeune homme ambitieux avec un talent fou, une vision nouvelle de la photo, un amour de l’image et une énergie palpable. Nous avons voulu le découvrir encore plus, connaître l’origine de son talent mais surtout vous faire partager ce délicieux moment que nous avons passé en sa compagnie le temps d’une interview.

Jet Set : Comment vous êtes-vous retrouvé à faire de la photo ?

J’ai eu mon premier appareil photo à l’âge de 11 ans, c’était un cadeau très bizarre parce qu’on n’offre pas un appareil photo à cet âge-là.
C’était un appareil reflex en pièces détachées que je devais assembler tout seul. Je me suis donc retrouvé à l’assembler pièce par pièce, puis je me suis mis à prendre des photos avec un copain qui m’a un peu appris comment faire, mais j’ai vite laissé tomber.
Puis, à mes 16 ans, j’ai rencontré un autre copain passionné de photo avec qui on partait voir des concerts de musique et on prenait plein de photos assez psychédéliques !
Après avoir eu mon bac, j’ai tout fait pour faire une formation scientifique, mais après deux semaines de cours à la fac, je me suis rendu à l’évidence : ce n’était pas fait pour moi.
Je me suis donc tourné vers ma deuxième passion, qui est l’art. J’ai fait art et métier, mais la photo est toujours restée au stade expérimental.
Petit à petit, j’ai repris la photo en ayant mon appareil sur moi en permanence. Une fois mes études finies, je suis parti étudier le cinéma pour me spécialiser un peu plus dans l’image, et là, je suis devenu protagoniste avec un appareil photo.
Le plus gros déclic, c’était lors de mon premier stage à Bruxelles. Je devais commencer le lendemain de ma rencontre avec mon « patron », j’arrive très tôt, tout excité, surtout qu’il y avait un grand festival de cinéma où il y avait des reportages photo et vidéos, ce qui voulait dire que je risquais d’avoir entre les mains un appareil photo qui coûtait 20000 euros… A ma grande surprise, après le briefing du matin, le monsieur m’emmène dans une chambre noire où il y avait un appareil photo complètement démonté, et il m’a dit, je cite :« Mon cher ami, si tu connais bien la photo, tu dois savoir ce qu’est et comment est fait un appareil photo. Alors, tu le montes, et tu prends avec deux photos pour cet après-midi à 18h.» Et là, j’ai pleuré. J’étais tellement persuadé que j’allais directement rentrer dans le feu de l’action, ma déception était telle que je ne pouvais m’empêcher de pleurer.
J’ai essayé de le monter, j’ai réussi à prendre deux photos, et là j’ai compris la leçon, ce qui m’a amené à m’intéresser à tout ce qui est théorique concernant l’image.

Jet Set : Une fois vos études finies, qu’est-ce que vous avez fait en rentrant au pays ?

J’étais encore étudiant, j’ai suivi pendant une année un groupe de Jazz tunisien. Je prenais des photos pendant les concerts, j’avais la possibilité de faire ce que je voulais, et c’est là que j’ai commencé à maîtriser certaines choses, mon appareil, ma vision, mes mouvements…
En parallèle, j’étais aussi dans le cinéma et j’ai monté une petite boîte de design graphique qui maintenant marche bien. C’est d’ailleurs grâce à ça que je ramène du pain à la maison.
Mais mon appareil photo ne me quittait pas d’une semelle, ce qui m’a amené à expérimenter pas mal de choses.

Jet Set : Donc votre première expérience sur un plateau de tournage en tant que photographe « attitré » c’était sur « Cine Città » ?

Oui, mon premier long métrage, c’est « Cine Città », de Brahim Letaief. J’ai intégré l’équipe sur la caméra par manque d’effectif, puis j’ai fait le deuxième assistant et en parallèle, je prenais des photos. Au fur et à mesure, j’ai essayé de voir le film différemment, il y avait énormément de matière, le film était plein de bizarreries…

Jet Set : Comment est née l’idée de votre expo et surtout, comment avez-vous pu avoir tous ses acteurs devant votre objectif ?

J’étais très copain avec Dali Bou Jemaa, je lui ai proposé de venir au studio avec les autres acteurs pour faire des séances photo en costume du film, ce qu’on a fait vraiment en s’amusant. Dali m’a dit qu’il ne fallait pas que ce soit fait à la va-vite, qu’il fallait prendre son temps et essayer de faire un truc plus pointu.
On a commencé à avancer, et les acteurs ont tous accepté de jouer le jeu, malgré une petite hésitation au départ car ils ne savaient pas qui j’étais.
Certains ont refusé, d’autres ont demandé de l’argent, mais il y en a qui ont accepté de suite, surtout quand Dali à mis son nom dans le projet. Ça nous a vraiment facilité les choses et c’est de là qu’est née l’exposition faite à l’Africa.
Je voulais montrer le vrai visage des acteurs, l’image d’une personne normale, rendre l’acteur accessible en simplifiant son image tout en restant dans la photo classique.
Quand vous voyez la photo, vous avez l’impression d’avoir un rapport plus simple avec elle, on l’accepte plus facilement.

Jet Set : Cette exposition de portraits, c’est votre spécialité ou une nouvelle expérience pour vous ?

En fait, c’est de là que j’ai vraiment commencé à m’intéresser au portrait, à tout ce qui est simple dans tout, et j’ai compris que pour réussir, il fallait vraiment aller au fond des choses.
Je ne crois pas en la notion de photogénie, c’est un terme qui a été créé pour se rassurer. Tout dépend de la personne qui prend la photo et de l’attitude qu’on a devant l’objectif, et ça dépend de plein d’autres facteurs techniques…

Jet Set : Justement, quelle est votre technique, quel rapport installez-vous entre vous et le sujet que vous prenez en photo ? Est-ce vous qui dirigez ou est-ce que vous les laissez libres de poser comme ils le souhaitent ?

Je ne donne aucune directive, je ne demande pas de pose, ni d’habits particuliers, je laisse le sujet libre de faire ce qu’il veut. Ainsi, je le vois comme il est, et lui se verra différemment d’une manière très simple, sans superflus.
Jet Set : Pourquoi avez-vous commencé par les jeunes acteurs ?

Parce qu’ils sont accessibles, le contact se fait plus vite, je me sens plus vite plus à l’aise avec eux et vice versa.
Avec les acteurs plus âgés, c’est plus difficile parce que j’ai peur de les prendre en photo. C’est une responsabilité, ils ont déjà marqué l’histoire, la scène artistique, etc. Si je vais mettre mon nom sur une des photos, elle va être là, me poursuivre, qu’elle plaise ou pas…
Ce que je veux dire par là, c’est que je préfère acquérir plus d’expérience, connaître certaines choses avant de passer à la vitesse supérieure.

Jet Set : Ce n’est que maintenant que vous avez vraiment pensé à devenir photographe professionnel ?

Non, j’ai commencé à y penser sérieusement à partir des dernières années de mes études. Je me suis dit pourquoi pas ? Pourquoi ne pas avoir mon studio, faire les choses en interne, le côté commercial et artistique, et surtout être différent de ce qu’il y a à Tunis.
J’ai envie de parler aux Tunisiens de toutes les classes sociales, tout le monde a le droit à une séance photo, le droit de se voir différemment.
La photo n’est plus un art cher, tout le monde peut faire des photos, avec son portable ou autre. J’ai même vu une exposition de photos faites avec un simple téléphone portable.

Jet Set : Est-ce que vous créez l’ambiance, l’univers pour prendre vos photos, ou est-ce que vous y allez à l’instant ?Comment procédez-vous ?

Je ne suis pas très doué dans tout ce qui est reportage, ce n’est pas vraiment ce qui m’intéresse. Quand la matière est prête, existante et qu’il ne faut avoir que le coup d’œil pour savoir la prendre, c’est une méthode que je respecte beaucoup mais qui à mon sens ne m’aide pas vraiment à m’exprimer.
J’ai besoin d’arranger ma lumière, de concevoir une attitude, de la travailler avec le sujet, le mettre à l’aise et l’aider à oublier sa timidité, ce qui va par la suite donner une chose vraie des deux côtés, devant et derrière l’objectif.
J’essaye de voir la lumière en tant qu’outil de travail, de peindre avec la lumière, de sculpter.

Jet Set : En parlant d’art, on ne peut éviter de parler du style de chacun. Avez-vous trouvé le vôtre ? Si oui, quel est-il ?

J’aime un style de cadre particulier, c’est un petit point ou une ouverture qui me permet de voir quelque chose. J’ai besoin de voir les choses un peu décadrées, même si c’est académiquement incorrect.
J’utilise la lumière et je n’ai pas peur du contraste, noir noir ou blanc blanc, ma lumière est très particulière.
J’ai envie de montrer le vrai côté des choses.

Jet Set : Quels sont vos projets ?

Je suis sur un projet de calendrier de joueurs de foot, mais un calendrier assez particulier où je les prendrai en photo dans leur environnement, avec une lumière particulière.
C’est vrai qu’il y a une très bonne part économique là-dedans, parce que le foot en Tunisie c’est vendeur, surtout si on y ajoute des photos qui rehaussent l’image du footballeur, du sportif…
Sinon, je suis en train de me préparer pour les JCC, je veux réaliser un concept particulier, faire une expo de photos sur le sol.
Jet Set : Est-ce plus difficile de photographier la gent féminine ou masculine ?

La femme est plus difficile à photographier, elle est plus sensible, elle a envie d’être belle, d’accentuer les côtés qu’elle aime en elle, et ça se reflète inévitablement dans la photo.
Jet Set : Quelles sont vos ambitions, devenir directeur de la photo au cinéma ou devenir artiste photographe professionnel ?

Etre chef opérateur dans le cinéma parce que c’est un métier que je trouve très beau, très subtil, difficile aussi, mais c’est ce qui me plaît. J’ai aussi envie d’être photographe professionnel, et artiste. Mais je ne suis pas encore capable de mettre un prix sur une photo, je n’ai pas encore assez d’expérience pour le faire, je préfèrerais les offrir plutôt que les vendre. Avec le temps, ça va se développer petit à petit, je ne sais pas encore si je pourrai vendre mes photos en tant qu’œuvres d’art.

Jet Set : Est-ce que vous utilisez la technologie, l’ordinateur sur vos photos ?

C’est de l’art graphique et je ne compte pas introduire ça à mon style, c’est un côté que je ne maîtrise pas encore et puis je n’aime pas retoucher mes photos, je préfère en rater plusieurs pour avoir vraiment ce que je veux.
D’ailleurs, je n’étais pas d’accord concernant les photos que j’ai faites pour la campagne contre le Sida, elles ont été retouchées ce qui à mon goût leur a enlevé une part de leur réalisme.

Propos recueillis par Neïla Azouz